Je ne parle pas ici de la distance émotionnelle du psychologue ou du psychothérapeute avec son patient. J’évoquerai celle-ci dans un autre article, et j’en donnerai une définition, ou plusieurs.

Je ne parle pas non plus de cette « bonne distance émotionnelle » avec les autres : collègues, famille, amis, conjoint… Ni de cette quête humaine de « prendre de la distance émotionnelle » avec ceux qui nous entourent.

Distance émotionnelle… avec le passé

Je parle ici d’une certaine distance émotionnelle avec le passé. Certains patients en témoignent. Elle est un symptôme à entendre.

Ce patient, M., vient demander de l’aide au psychothérapeute que je suis avec une plainte. D’après lui, il se met trop souvent en colère contre sa compagne. Par ailleurs, il n’est pas à l’aise dans telle ou telle situation sociale. Il évoque encore d’autres symptômes dont il pressent qu’une psychothérapie pourrait le débarrasser.

Au détour de nos entretiens, je l’écoute me parler de son enfance. Il parle incidemment de ces moments où, enfant, il était livré à lui-même. Ses parents, pour les raisons qui leur étaient propres, ne pouvaient pas s’occuper de leur petit garçon. Il me parle du vide affectif ressenti à cette époque. En conséquence, il ne se trouvait pas de valeur. Logique de l’enfance : si on ne s’occupe pas de moi, c’est que je ne vaux rien.

Le petit garçon qu’il a été a souffert de cette absence de soin, de ce manque d’amour témoigné, de cette solitude. Mais l’adulte qu’il est aujourd’hui en parle avec une grande distance émotionnelle, et c’est cela qui attire mon attention.

Ironie, rires en disant « Je ne valais rien », « J’étais un enfant très difficile », « Mes parents ont souffert avec moi »…

Cette distance émotionnelle semble vouloir me dire : « Ne vous inquiétez pas, monsieur le psychologue, j’ai tourné la page, ce n’était pas si douloureux que ça, je vais bien maintenant. Ce n’est pas de mon enfance que je me plains, c’est des comportements d’aujourd’hui avec ma femme et avec mes collègues. »

Cette distance émotionnelle est une identification

Mais mon oreille de psychothérapeute entend autre chose derrière cette stratégie inconsciente. Je ne peux pas ne pas entendre que cette distance émotionnelle d’aujourd’hui reflète la distance émotionnelle que le petit garçon a vécu autrefois avec ses parents. Et dont il a souffert.

Il s’agit en réalité bien plus que d’un reflet. C’est une identification aux adultes défaillants (à cet endroit) qui l’ont éduqué.

Enfant, ses parents l’ont traité avec distance émotionnelle. Donc, adulte, il traite aujourd’hui son passé, il se traite lui-même, avec cette distance.

Il a hérité du modèle d’amour qui véhicule cette distance. Il l’a absorbé et fait sien, puisque c’est le seul modèle d’amour qu’il a connu. Et il se le ressert, comme s’il ne pouvait se traiter que comme on l’a traité.

Cette distance voudrait me persuader : « Voyez, je ne souffre plus, j’ai le contrôle, je ne suis pas en demande d’amour ». Par là aussi il essaie de se persuader lui-même.

Mais cette distance émotionnelle laisse entendre ce qu’elle voudrait cacher. Que le petit garçon souffre encore. Et que l’adulte qu’il est aujourd’hui lui demande de rester silencieux et tranquille. Comme ses parents le lui ont demandé quand il était petit : « quand Papa et Maman ne sont pas là, tu dois rester tranquille et silencieux ».

Entendre la souffrance de l’enfant à travers la distance prise par l’adulte

À travers cette distance, j’entends donc la souffrance du petit garçon.
Je ne peux pas l’ignorer.
Et c’est par conséquent avec ce matériau apporté involontairement par M. que nous allons travailler. Non sur les symptômes de colère apportés consciemment. Ces symptômes disparaîtront lorsque M. aura entendu l’enfant qui n’a jamais été entendu dans cette souffrance. L’agressivité témoignait d’une souffrance pas entendue. Elle était une défense contre hier qui ne pouvait s’exprimer qu’aujourd’hui, puisque hier, objectivement, était passé. Mais l’inconscient ignore le temps. À l’intérieur de nous, subjectivement, le passé n’est jamais passé.

Ainsi, pendant les prochaines semaines, nous allons écouter le petit garçon qui demande d’être écouté par les deux adultes en capacité de bienveillance que nous sommes, aujourd’hui, tous les deux, M. et moi. Si par le passé ses parents réels ont été défaillants à l’endroit de la proximité émotionnelle, aujourd’hui c’est lui, M., qui peut se rendre disponible à l’enfant en lui-même.

C’est lui, mon patient adulte, qui peut aujourd’hui trouver la capacité d’aimer l’enfant qui n’a pas reçu hier l’amour dont il avait besoin.


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